Sans frontières

Hélène Cheguillaume

Mars 2016

 

 

Voyager à travers ses fibres. Arpenter ses sillons. Gravir les aspérités de son grain. Archéologue matiériste, Geoffroy Terrier explore le papier. Il en dévoile l’histoire tout en évoquant, en filigrane, des récits : entre souvenirs d’enfance et contes chimériques. C’est avec une dextérité quasi didactique que l’artiste exploite ce médium, à la fois support, matière et vecteur aux potentiels narratifs intimes et universels. 

Dans une attitude teintée d’ambivalences, il slalome entre le rapport sensuel, peau à peau, et l’éreintement de la matière qu’il questionne sans relâche. Plier, froisser, déchirer, noyer, creuser, trancher… sont autant d’actions qui augmentent régulièrement son lexique gestuel. 

 

Depuis la ramette qu’il déploie et détaille, il échafaude les procédures toujours renouvelées d’une série de petits gestes. Une manufacture dans laquelle l’artiste est l’ouvrier intervenant à chaque étape de fabrication. 

L’intuition n’est toutefois pas en reste. Chacune des strates s’engendre l’une l’autre, nourrissant une réflexion toujours plus exigeante, toujours plus rigoureuse. 

La lenteur est de rigueur dans cette permanente virevolte du plan au volume. En effet, pour Geoffroy, la temporalité n’est pas synonyme de rendement. Au contraire, une importance primordiale est accordée au processus au cours duquel le temps est toujours éprouvé et chaque fois retrouvé. Il est l’impalpable matière première de ses expérimentations. 

 

Il s’agit en outre d’une exploration chromatique à laquelle l’artiste nous convie.

Couleurs primaires et secondaires côtoient les demi-teintes qui portent des noms de fruits et de fleurs, entrainant l’interminable défilé des nuances. A plat et en relief, elles dévoilent des secrets selon leurs propres codes. L’artiste questionne l’histoire de la peinture en jouant au chimiste : aquarelle, acrylique, encre de chine ou graphite font partie de la liste ouverte et non exhaustive des solutions employées et combinées.

 

Des remontées chromatiques  se révèlent particulièrement à travers la série des boules de papiers. L’apparente simplicité du geste s’assume comme un retour  à l’enfance, lequel sédimente cette sculpture, à la fois œuvre fondatrice et fil conducteur. Le basculement temporel s’opère également à mesure que l’artiste accompagne la matière dans le processus de formation de sa chrysalide. 

Aussi, Geoffroy procède au recyclage de la matière en allant puiser dans son stock, sortes de catalogues anachronologiques constitués par empilements de feuilles de papiers peints, comme autant de résidus des recherches passées. 

Laissées parfois en l’état, ces boules de papiers (que l’on nomme tour à tour choux, cocons, vanités) se voient souvent pourfendues dans un acte impétueux dont l’audace est motivée par une volonté de trancher dans le vif pour mieux entrer dans la matière. Alors entrainés dans cette spirale spéléologique aux évocations diverses, nous pouvons y projeter nos propres suspicions analogiques : de la géologie à l’encéphalographie, de l’anthropologie à la botanique…

 

Geoffroy aplanit la sphère lorsqu’il développe une nouvelle série noire. Ici, la relation entre le support et la surface se fait encore plus ténue. 

On pense voir d’imposants manuscrits finement ouvragés mais le livre reste impénétrable. La tranche scelle une narration muette, le récit se trouvant à fleur d’œuvre. Comme un archéologue, l’artiste sonde la cime de l’objet recourant au ponçage ou à des techniques d’excavation plus incisives. 

Au delà des jeux de textures brillantes et mates, s’y révèlent alors des territoires contrastés, jadis mis à l’écart du monde des couleurs.

 

En contrepoint aux évocations telluriques, la présence du canoë intervient par intermittence. Il dessine l’espace ouvrant une métaphore, comme une envie de naviguer dans la forêt, retrouver le sauvage, questionner l’origine. 

Une invitation à voguer à rebours, sans rames ni voiles et sans moteurs. Avec le risque de se laisser surprendre par les méandres d’une errance à l’épreuve du temps. Ainsi le carnet, compagnon silencieux de l’artiste, se voit augmenter de mots et de croquis à mesure que sa pratique découvre de nouveaux horizons. 

 

Geoffroy ne perd jamais de vue cette ligne, si souvent déclinée dans son travail. Parfois elle se dessine au mur. Une paradoxale perspective se donne à voir. 

Les formes arborées par ces paysages imaginaires s’écrivent d’instinct par des chutes de papiers collées. L’insignifiant fait l’horizon.